Surprise révélée un petit peu plus d’un mois avant sa sortie du 02 août, Yannick prouve une fois encore que Quentin Dupieux est un cinéaste prolifique regorgeant d’idées, capable de tourner rapidement un modeste long-métrage en attendant novembre et son énigmatique Daaaaaali !
Avec ce nouvel opus, moins anodin qu’il n’y parait, le français donne une importance moindre au registre de l’absurde qui le caractérise, pour nous livrer une œuvre où l’émotion prend une place quasi inédite.
Que nous disent alors ces 67 rafraichissantes minutes estivales sur leur auteur et sur le cinéma français ?
Qui est donc ce fameux Yannick, dont les homonymes se sont vus offrir leur place dans le cadre d’une campagne marketing (presque) digne d’un « Barbenheimer » ?
Yannick n’est autre qu’un spectateur de théâtre assistant à une comédie de boulevard médiocre. Exaspéré devant tant de bêtise, il décide de se lever et d’exprimer aux comédiens et au reste de l’audience son mécontentement.
Même si le postulat liminaire du nouveau film de Mr. Oizo nous montre une situation saugrenue et difficilement envisageable, elle n’en est pas pour autant impossible. En poussant au maximum la parodie du théâtre de boulevard, Dupieux semble pour une fois nous donner des raisons valables aux agissements absurdes de son protagoniste. Le jeu catastrophique des comédiens, au service d’un texte d’une pauvreté affligeante, donne du crédit à l’action rebelle de Yannick, qui ne demande rien d’autre que d’être pris au sérieux.
Sans annoncer un virage dans la filmographie du réalisateur, ce changement de ton s’analyse à l’aune du sujet qu’il porte. Au-delà des punchlines bien senties (et très drôles) d’un jeune homme en colère, ce sont les raisons qui le poussent à se lever qui m’ont personnellement interpellé.
Les thèmes abordés, d’une portée sociale inhabituelle, donnent à l’oeuvre une dimension réflexive sur la période à laquelle elle a été produite ainsi que sur le cinéma de Dupieux lui-même, probablement inquiet, à la fois de la réception de ses créations, mais aussi des inégalités qui sévissent au sein même de son audience.
Celles-ci sont exacerbés par l’intermédiaire de son protagoniste, garçon isolé, gardien de parking ayant mis une heure à venir pour se divertir. Ses difficultés grammaticales ainsi que son manque d’aisance face au clavier d’un ordinateur achèvent d’en faire le stéréotype du « pauvre gars », qui aurait pu s’avérer un peu facile si l’hypocrisie des autres personnages n’était pas aussi criante.
Car si Yannick représente le cliché d’une catégorie sociale mise à l’écart, il n’est cependant pas idiot et cerne assez remarquablement la facilité avec laquelle ceux qui l’entourent se pensent supérieurs à lui. Mais son agilité à l’oral et sa répartie à toute épreuve désarçonnent ce public devenu sien. Les membres de ce dernier vont se prendre de sympathie pour cet énergumène, jusqu’à rire aux éclats devant une proposition théâtrale guère mieux que la précédente.
Même les comédiens semblent heureux de susciter une telle réaction des spectateurs malgré le texte bancal de leur ravisseur.
Par ce biais semble se dessiner une forme d’explication de Dupieux à propos de ses ambitions de réalisateur maintenant installé dans le paysage cinématographique français. Car en simplifiant au maximum l’histoire qui nous est racontée, on retient l’interruption d’une œuvre médiocre se reposant sur une formule éculée, finalement remplacée par une autre tout aussi pauvre mais qui a le mérite d’être nouvelle, originale.
Dès lors, ce petit film sorti entre la poire et le fromage s’annonce plutôt comme une note d’intention du monsieur sur sa carrière. Une carrière donnant une importance majeure à l’originalité, même si cela doit en affecter la qualité. L’art, bon ou mauvais, doit surprendre et faire parler.
Cette confession cinématographique pleine d’humilité est sans doute une raison expliquant le succès de cette sortie inattendue. À l’heure où j’écris ces lignes, presque 400 000 spectateurs ont découvert la prestation impeccable de Raphaël Quenard au sein de cette comédie personnelle et touchante, faisant de Yannick le plus grand succès de son auteur au box-office français.
Au coeur d’une année 2023 où le mastodonte qu’est Astérix n’a pas justifié son investissement colossal de 65 millions d’euros et où les blockbusters américains trouvent moins facilement leurs spectateurs qu’auparavant (exception faite du duo dévastateur Barbie / Oppenheimer), le polyvalent français tourne en six petits jours un long-métrage pour moins d’un million d’euros et rencontre son public.
Une prouesse qui n’est pas à mettre qu’au crédit de sa bonne communication mais aussi de son protagoniste, qui n’est autre qu’un homme souvent réduit à sa précarité (financière comme relationnelle) et qui refuse d’être davantage pris pour un con.
Que ce soit conscient ou non de la part de l’artiste, on voit sur l’écran un être humain se battre pour être entendu, afin que des figures d’autorité comprennent sa sensibilité, ses difficultés et son mécontentement. Dans une période de forte inflation, où la France a vu poindre des manifestations et grèves historiques ainsi que des émeutes suite à l’assassinat terrible d’un jeu homme, ce métrage dit quelque chose de l’époque.
S’il célèbre ce personnage revendicatif, s’il met en lumière les inégalités des individus face au quotidien et à l’art, s’il représente une forme de radicalité, il livre un instantané de notre société. La sympathie que dégage ce garçon excentrique, aux revendications en phase avec leur temps, a peut-être attisé la curiosité de certains et certaines.
Même si Yannick n’est pas le film le plus formellement intéressant de Quentin Dupieux, il est toujours agréable de voir un artiste se pencher sur son œuvre, se questionner sur son public et sur lui-même. Et lorsque cet exercice d’introspection trouve un écho à l’actualité du monde dans lequel on vit, l’œuvre dépasse ses fonctions, devenant le témoin sensible d’un contexte tourmenté.
Pingback:TOP 2023 - nouvel écran