Cet article dévoile quelques éléments d’intrigue !
Louis Garrel nous revient cette année avec L’Innocent, une pure comédie empruntant énormément de codes au polar français pour nous livrer un objet filmique tout en nuances.
Abel (Louis Garrel), jeune homme endeuillé par la disparition de sa femme dans un accident de voiture dont il est responsable, se doit d’accueillir dans sa famille le nouveau mari de sa mère, Michel (Roschdy Zem), homme mystérieux tout juste sorti de prison. Suspicieux à son égard, Abel, accompagné de sa meilleure amie Clémence (Noémie Merlant), ne manquera pas de le suivre afin de prouver ce dont il a l’intime conviction : Michel compte récidiver.
Ce pitch du quatrième film de Louis Garrel parait être celui d’un bon vieux thriller à la française. Et c’est bien entendu le cas. Or la noirceur typique de ce genre est ici remplacée par une légèreté inhabituelle, emprunte de tendresse et se révélant très drôle.
Le geste du cinéaste-acteur est de faire cohabiter, voire de faire s’enchevêtrer le genre très codifié du polar et celui de la comédie presque vaudevillesque. Et il s’avère que c’est une réussite. Les codes du film policier et de braquage sont tous réunis et tour à tour déconstruits afin de faire émerger plusieurs situations comiques, qui sont suffisamment bien dosées pour ne pas nous éloigner de l’intrigue et de notre envie d’en connaître l’issue.
À la croisée des genres se mêle la rencontre de deux personnages que tout oppose. Michel sort de prison, ne se soucie guère du passé, à tel point qu’il souhaite tourner la page en ouvrant une boutique de fleurs avec sa nouvelle femme Sylvie (Anouk Grinberg). Il trouve un travail dans un magasin de meubles, et semble prêt à se réinsérer. Il est confiant, sûr de ses gestes et de ses actes, et souhaite atteindre les objectifs qu’il s’est donnés.
Tout le contraire du jeune homme, bloqué dans un passé traumatique, cherchant désespérément un sens à sa vie. N’ayant pu protéger sa femme, il s’évertue à surprotéger sa mère, adoptant un rôle paternel vis-à-vis d’elle, quitte à en oublier son propre épanouissement.
Le premier tente difficilement d’échapper à son passé afin de se tourner vers l’avenir alors que le second reste englué dans son traumatisme et semble perdu à plusieurs niveaux. Dans son deuil bien sûr, mais aussi dans ses relations avec Sylvie, Clémence et son étrange beau-père.
Cette opposition est figurée de manière simple mais efficace à l’écran, Abel se retrouvant souvent cadré au milieu de grands espaces qui tentent de l’engloutir, telles les énormes vitres de l’aquarium dans lequel il travaille ou la campagne dans laquelle il se disputera avec Clémence.
Contrairement à lui, Michel est souvent filmé dans des espaces plus restreints, débutant dans le plus claustrophobe d’entre eux : la prison. Mais également le magasin de fleurs ou le restaurant dans lequel il prend ses pauses déjeuner. Mais s’il est plus souvent isolé dans un cadre, c’est bien parce qu’il est constamment observé par son méfiant beau-fils.
Passages presque obligatoires des polars et films de braquage, les scènes de filature sont ici exploitées à l’aide de tous leurs codes, que Louis Garrel prendra systématiquement soin de déconstruire.
D’abord par l’issue décevante de certaines, Michel se rendant simplement au travail ou au restaurant. Ensuite par l’attitude grotesque d’Abel, habillé comme un détective du dimanche et dont la discrétion reste à prouver. Ou enfin par le procédé de filature lui-même, comme lorsqu’il suit Michel à l’aide du GPS du chien de son amie Clémence. Les ressorts comiques du film émergent le plus souvent de cette mécanique d’éclatement du genre. L’aboutissement de cette dynamique réside dans la séquence du braquage.
Michel doit s’affranchir d’un dernier coup afin d’éponger ses dettes et d’enfin se lancer dans une aventure moins risquée avec sa femme et ses fleurs. Démasqué par Abel, il le convainc de s’associer à lui pour limiter les risques de l’opération visant à braquer un camion transportant du caviar.
Il aura alors le rôle, assisté de Clémence, de distraire le chauffeur du camion de caviar en simulant une scène de ménage. Les deux protagonistes glisseront de la fiction à la réalité, sous les regards en coin du chauffeur en arrière-plan, tentant péniblement de finir son repas.
Les masques tombent alors que l’intrigue du polar continue derrière eux. Les différents genres présents dans le film se superposent à l’image, le temps d’une séquence à la fois drôle, émouvante et haletante.
C’est peut-être là-dessus que le film se trouve le plus ingénieux, en entremêlant les intrigues, les genres, les effets de style et les destins de chaque personnage. Et ce jusqu’en dans la structure même du récit, qui verra la scène du mariage répétée au début et à la fin du film. Cependant les personnages y sont inversés, et le véritable innocent du titre révélé.
EN BREF
Une petite douceur qui fait s’enchevêtrer le genre très codifié du polar et celui de la comédie presque vaudevillesque. Et il s’avère que c’est une réussite. L’Innocent nous balade de genre en genre, n’oubliant pas de nous émouvoir, de nous tenir en haleine et surtout de nous faire rire.