Prix du scénario à Cannes cette année, La Conspiration du Caire est sorti dans nos salles françaises le 26 octobre dernier. Auteur d’un thriller d’espionnage poignant, Tarik Saleh n’a pas volé la récompense mettant à l’honneur son écriture acérée.
Adam, fils de pêcheur, obtient une bourse pour intégrer la prestigieuse université d’enseignement islamique al-Azhar du Caire. Le jour de la rentrée, le grand imam de l’institution meurt. Plus haute autorité de l’islam sunnite en Égypte, la mosquée Al-Azhar sera le lieu d’une lutte des pouvoirs politiques et religieux ayant pour objectif de désigner le successeur de l’imam. Ibrahim, colonel de la sûreté d’État, utilise Adam pour parvenir à faire élire le Cheikh voulu par la présidence du pays.
Avant toute chose, il faut dire à quel point le film est une incursion passionnante au sein d’une des institutions les plus importantes du l’islam sunnite. Le lieu a d’ailleurs la particularité d’être filmé avec neutralité, à hauteur d’homme. On y voit les protagonistes, profondément humains, s’écharper sur la direction qu’ils veulent donner à leur croyance, sans pour autant que Tarik Saleh ne prenne parti ou ne se focalise sur le danger que représentent certains groupes.
« Mon film n’est pas une critique de l’islam. Il ne s’agit pas d’exposer je ne sais quelle face sombre de cette religion mais plutôt de comprendre le pouvoir que représente le savoir – que ce soit en tant que force qui libère l’individu ou qui l’emprisonne. »
(Tarik Saleh dans le dossier de presse du film)
Toutefois, ces débats sont vains. Cette place forte de l’apprentissage théologique, qui m’était personnellement inconnue, devient le théâtre de jeux de pouvoir, d’intrigues politiques et du destin d’un étudiant au mauvais endroit au mauvais moment.
Les conspirateurs qui entourent Adam justifient leurs actes en avançant le précepte islamique du mektoub, ce qui est écrit, prédestiné par Dieu. Chaque camp use de cette fatalité divine pour enlever tout choix au jeune étudiant, et lui faire croire qu’eux n’en avaient pas. Ainsi, toutes les décisions prises par ce dernier ne le sont pas pour des raisons morales, spirituelles ou politiques. Il les prend par pure volonté de survie. Celle de son père, qu’il peut guérir de sa maladie en obéissant au colonel Ibrahim, et la sienne bien sûr.
Protagoniste, aussi bien écrit qu’il est interprété, Ibrahim (Fares Fares), homme plein de nuances, le malmène par ses menaces et le rassure par des gestes bienveillants. Adam, interprété par un Tawfeek Barhom impressionnant, flirte constamment entre la paranoïa et la confiance, entre un apaisement temporaire et une fureur prête à jaillir. Petit poisson dans un océan dont il ne perçoit pas les contours, il est contraint d’avancer, parfois à contre courant comme dans ce plan magnifique où il traverse difficilement la foule.
Caractérisé comme une marionnette, il n’en oublie pas d’apprendre. La force du film, et en particulier de son écriture, est de nous montrer un individu qui apprend et qui utilise ses connaissances pour progresser et se tirer d’affaire. Ces scènes dans lesquelles on le voit attentivement écouter les paroles de ses professeurs dans la cour de l’université sont moins anodines qu’il n’y parait.
Il utilisera l’éducation qui lui est donnée dans un final poignant, où victoire et échec se confondent, où l’angoisse s’estompe, où la fatalité s’installe. Une fin douce amère comme les très bons thrillers savent nous en donner. La Conspiration du Caire est un film d’espionnage intime, traitant d’une machination à l’ampleur sous-estimée. Tel une fresque, il glisse du personnel à l’universel, l’établissant comme une grande oeuvre politique.
EN BREF
La Conspiration du Caire est un thriller d’une extrême précision, mené de main de maître par Tarik Saleh et porté par d’excellents comédiens. Il passionne pour le lieu dont il traite et en fait le théâtre d’un pamphlet politique à l’ampleur innatendue.