Titre original : Marcel the Shell With Shoes On
Nationalité : États-Unis
Date de sortie : 14 juin 2023
Réalisation : Dean Fleischer-Camp
Photo : Eric Adkins et Bianca Cline
Musique : Disasterpeace
Casting : Jenny Slate, Dean Fleischer-Camp, Isabella Rossellini, Lesley Stahl, Rosa Salazar, Thomas Mann
Avec Marcel le coquillage (avec ses chaussures), l’année 2023 s’enorgueillit d’un panel large et diversifié de films d’animation qui bousculent les codes établis et l’hégémonie d’un duo Disney Pixar en panne d’inspiration (en attendant Élémentaire qui me contredira peut-être). Du ténébreux Mad God au spectaculaire Spider-Man : Across the Spider-Verse, le genre ne manque pas d’imagination pour proposer des formes nouvelles.
Dean Fleischer-Camp et Jenny Slate, les deux artistes à l’origine de ce petit personnage attachant, confirment cette tendance avec ce faux documentaire mêlant prises de vue réelle et stop motion.
Suite à une rupture, Dean s’installe provisoirement dans un AirBnb où il rencontre Marcel, un petit coquillage de deux centimètres qui vit avec sa grand-mère Connie. Intrigué par ce petit être débrouillard, il commence à filmer son quotidien pour le partager au plus grand monde. Le succès qu’il génère sur les réseaux sociaux redonne à Marcel l’espoir de retrouver sa famille disparue depuis deux ans.
Né d’un court-métrage sorti il y a douze ans sur Youtube, Marcel est vite devenu viral auprès des utilisateurs de la plateforme, attendris devant ce jeune coquillage bavard. Deux suites et quelques livres à succès plus tard, l’heure de présenter ce phénomène aux spectateurs de cinéma est arrivée, et quelle découverte !
L’œuvre convoque d’entrée nos souvenirs de l’enfance, cette période à l’imagination illimitée où une simple balle de tennis se transforme en véhicule tout terrain, des tranches de pain de mie en lit douillet, où un petit coquillage peut prendre vie et devenir le héros d’une histoire.
Le film peut alors se voir comme un bac à sable ludique dans lequel on observe l’astucieux Marcel utiliser les objets humains pour sa survie, son confort et pour se divertir. Une cordelette accrochée à un batteur électrique permet de secouer les branches d’un arbre et d’en faire tomber ses fruits, une table poussiéreuse devient une patinoire, un pot de fleur un jardin potager, etc. Tous les objets de notre quotidien trouvent une nouvelle fonction alors qu’on les voit à l’échelle de ce coquillage court sur pattes.
Et c’est là la plus grande prouesse du long-métrage : donner une impression de gigantisme à des objets plus petit que nous. Grâce à des cadrages millimétrés et à la gestion du flou aux bords de l’image, l’équipe technique facilite notre incursion dans un monde où un écran d’ordinateur fait la taille d’une toile de cinéma.
Cela a même créé en moi le sentiment bizarre et nouveau d’être plongé dans l’inconnu alors même que l’univers dans lequel l’action prend place m’est familier.
L’originalité du long-métrage vient également de la forme choisie du faux documentaire réalisé par un homme (incarné par Dean Fleischer-Camp, le co-créateur du personnage) se passionnant pour cette coquille ornée d’un oeil, d’une bouche et bien sûr de baskets colorées. En partageant sa rencontre sur des plateformes de streaming, il nous place au même niveau que ces internautes découvrant cette étrange créature, mais aussi de Marcel, qui apprend à connaître notre société avec un regard naïf sans qu’il soit dénué de sagesse.
Car il voit dans cette popularité soudaine un moyen de retrouver la trace de sa famille disparue deux ans plus tôt. Or il comprend rapidement que l’aspect communautaire des réseaux sociaux n’est qu’une façade à une démarche bien plus narcissique. Il dit même à Dean : « Ce n’est pas une communauté, c’est un public ».
Par ce ton plus désespéré et mélancolique, il nous invite alors à faire un retour sur nous-mêmes, sur notre probable manière d’appréhender l’altérité dans un monde connecté dans lequel un buzz peut vite en remplacer un autre.
De là, le discours sur notre rapport aux réseaux sociaux, qui produisent des histoires et des créations comme des objets de consommation éphémères, est à lier au parcours de ce protagoniste iconique hors du film lui-même. Le premier court-métrage sorti en 2011 a comptabilisé 33 millions de vues, sa suite sortie un an plus tard en totalise à ce jour 11 millions et le troisième volet 4,8 millions.
En débarquant dans les salles obscures, le cinéaste semble vouloir embrasser une autre approche de la création, mais en visant surtout une réception différente de la part du public. Le dispositif de la projection payante, par son unité de temps et d’action, offre une expérience favorisant notre attention et par corollaire la construction de souvenirs plus durables.
Pari réussi pour ce petit bijou d’animation, d’émotion et de poésie qui restera.
EN BREF
Marcel le coquillage (avec ses chaussures) m’a embarqué sans aucun mal dans un monde pensé à sa hauteur. Mignon, touchant, poétique et surtout très beau, ce faux documentaire ravit notre âme d’enfant tout en portant un regard critique sur notre rapport aux réseaux sociaux et à l’altérité. Une nouvelle pépite d’animation à ajouter au grand cru 2023.
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