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     Nous n’aurons pas mis trois mille ans mais sept à attendre la dernière signature d’un cinéaste plus que jamais conscient de la force de son cinéma. George Miller, mad father d’une des pièces maîtresses du genre post-apocalyptique au cinéma, nous livre avec Trois mille ans à t’attendre ce qui semble être un rappel de son talent hors du cadre qui a fait sa renommée.

     Une femme, Alithea (Tilda Swinton), fait la rencontre d’un djinn (Idris Elba) lors d’une voyage professionnel à Istanbul, ce dernier lui offre la possibilité de réaliser trois de ses voeux. Postulat liminaire relativement simple à la différence que le djinn en question est tombé sur un esprit probablement plus averti que ses précédentes rencontres.
     Son activité de narratologue confère à Alithea une connaissance suffisamment solide des contes et de leurs enseignements pour ne pas se laisser duper par la facilité qui lui est proposée. Cette dernière refuse donc de formuler le moindre voeux, à moins que le génie ne parvienne à la convaincre en lui contant les aventures qui jalonnent sa longue existence.

     Miller, armé de transitions toujours aussi soignées et d’une utilisation d’effets numériques des plus intéressantes, fait ce qu’il sait faire de mieux : dépouiller un mythe universel en le ramenant à sa propre matrice afin d’en dévoiler les arcanes qui forment sa complexité.
     De cette manière, Trois Mille Ans à t’attendre devient une oeuvre bien plus profonde et dense que ce qu’elle ne laisse paraître.

     Sans vouloir tomber dans l’analyse facile, je me laisse pourtant convaincre par l’idée qu’Idris Elba représente le double de son créateur alors que Tilda Swinton campe une représentation de ses spectateurs. Par ce biais l’on notera que que le cinéaste australien s’adresse à nous avec respect. Il a compris que nos attentes dépassent celles de l’histoire qui nous est contée.
     À une époque où tout nous est facilement accessible, il nous avoue avoir conscience de la difficulté de nous raconter une histoire que l’on a déjà entendue. À l’image du djinn confronté à notre société contemporaine, les récits s’effritent peu à peu pour laisser la place à leur propre commentaire. Nous ne sommes pas narratologues mais nous ne sommes pas idiots pour autant.

     S’amorcent alors deux lectures qui ne sont pas incompatibles, bien au contraire. 

     La première, c’est celle qui rappelle au public l’importance de son rôle. Une histoire tient pour beaucoup à ce qu’y projettent les individus qui l’écoutent, la lisent, la regardent, d’autant plus à une époque ou chacun, s’il le souhaite, peut commenter une oeuvre, la noter, l’encenser ou la détester publiquement.
     La seconde lecture est celle nous rappelant qu’un récit repose essentiellement sur la qualité de son conteur. Mille et un cinéastes nous ont raconté la guerre du Vietnam, cependant les visions et sentiments partagés par Coppola ne sont pas les mêmes que ceux véhiculés par Kubrick, Oliver Stone ou Dalton Trumbo.
     Je privilégie d’autant plus cet axe de lecture que la fin du métrage m’a laissé un sentiment étrange, celui qu’il y en a justement plusieurs.

     À quatre reprises, George Miller m’a donné l’impression que son film se terminait, soit par un geste ou un propos qui à mes yeux pouvait conclure son oeuvre, soit par des procédés tels que de lents fondus au noir caractéristiques, et ce jusqu’au plan final magnifique. Comme si l’auteur avait du mal à faire son choix, ou bien comme s’il voulait souligner la tension entre l’histoire qu’on raconte et celle qu’on se raconte.
     Il nous donne l’impression que la fin souhaitée par Alithea s’enchevêtre à celle voulue par le djinn, de la même manière que celle du spectateur se superpose à celle de l’auteur.

     Ce récit déconstruisant la narration est peut-être une tentative de définir ce qu’est une histoire : une chorégraphie chaotique, somptueuse, de visions et de projections, dans laquelle dansent le narrateur et ceux qu’il a touchés.
     Mais comme toute bonne histoire, elle se transmet et perdure, et bientôt, ce sera au spectateur ému de mener la danse. 

EN BREF

Un film reposant sur une solide construction scénaristique et visuelle, nous offrant une jolie traversée dans les arcanes de la narration ou l’importance d’un conteur de talent comme George Miller nous est démontrée. 

4/5

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