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     Premier long-métrage de son réalisateur Lotfy Nathan, Harka surprend par sa grande maîtrise visuelle et narrative. Emmené de main de maître par le talentueux Adam Bessa, le film nous plonge dans le désespoir d’une génération dont la lutte a échoué.

     Ali, jeune tunisien, tente de survivre en vendant de l’essence au marché noir. Étouffé par les réalités de sa condition, il comprend qu’il n’a plus rien à attendre de son pays. Le décès de son père l’oblige à retourner auprès de ses soeurs pour prendre soin d’elles. Endetté et acculé, il sera obligé d’aller plus loin dans l’illégalité pour parvenir à nourrir sa famille.

     Dix ans après le printemps arabe, Harka nous dévoile l’échec de la révolution et l’espoir perdu de la génération qui l’a menée. Débutant comme un conte, le film n’hésitera pas à glisser vers le drame social cru, où la sécheresse des paysages évoquera celle de l’âme d’Ali. Abimé par une société tunisienne qui détourne le regard, il doit se débrouiller seul, quitte à se mettre en danger pour gratter quelques dinars et faire survivre sa famille. 

     Le film nous montre tous les espoirs détruits de ses protagonistes. Son fidèle ami par exemple, prêt à partager avec lui les fruits de la vente d’un vase de la Rome antique et qui ne s’en séparera que pour cinquante dinars (environ 15 euros). Ou bien son frère, qui espère gagner mieux sa vie en allant travailler dans un restaurant touristique sur la côte, mais qui sera confronté à des prix trop élevés pour envoyer quoique ce soit à sa famille. 
     L’entourage d’Ali se complait relativement dans cette situation, alors que le jeune homme est à fleur de peau et semble terriblement atteint par tous ces échecs, cumulés aux siens. 

     Uniquement confronté à tout ce qui lui rappelle son extrême pauvreté et son incapacité à s’en défaire, lui n’accepte plus. Il n’accepte plus sa vie, son pays, ses politiques indifférents et ses policiers corrompus. La tension monte progressivement sans ne jamais s’arrêter, et les stigmates de cette montée sont visibles sur le visage de l’incroyable Adam Bessa, voué à sombrer dans la folie.

     Cette fiction réaliste ne nous fait aucun cadeau, torturant ses personnages à l’image de la société dans laquelle ils vivent, jusqu’au final poignant et terrifiant.
     Et si parfois Lotfy Nathan tente de nous apaiser par des ressorts narratifs ou visuels, c’est pour mieux nous rappeler au plan ou au dialogue suivant, que l’apaisement n’est que ponctuel et est écrasé par tout le reste. Comme ces plans larges poétiques sur des paysages désertiques à la fois reposants par leur beauté, mais aussi inquiétants par la voix off mentionnant la pollution des eaux et la misère de la population. Ou bien ceux, hypnotiques, sur les vaguelettes de la mer Méditerranée juste après qu’Ali ait volé de l’argent. 

     Emprunts de poésie, ces tableaux figurent de très belle manière la limite ténue qui sépare le jeune tunisien de l’explosion. Ces repos ne sont que des sursis et la beauté n’est ici que que secondaire. Les maux frappant Ali sont peut-être trop profonds pour être sauvés.

EN BREF

Présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard, Harka est le premier long-métrage de Lotfy Nathan. Portant un scénario fort et un acteur plus qu’inspiré, il détonne par sa grande maîtrise. En tension permanente, on est bouleversé par la tragédie qui se déroule sous nos yeux. 

4/5

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