Avec ce top 2023, retour sur une année riche en découvertes et pépites qui m’ont procuré une bonne dose d’émotions.
À noter dans ce top 15 la présence de 5 films français, un de plus que l’année dernière.
Une année qui a mis à l’honneur (pour moi, en tout cas) les films d’animation puisque vous n’en retrouverez pas moins de 3 dans ce classement.
Benoît Magimel renforce sa présence dans les meilleures oeuvres annuelles, mais laisse sa place d’acteur le plus représenté à Raphaël Quenard, tête d’affiche de deux longs-métrages.
Et enfin, une année qui compte la présence de plusieurs grands cinéastes historiques qui n’ont pas perdu leur talent !
Bonne lecture !
Allemagne, Japon – 2023
De Wim Wenders
Avec Kōji Yakusho, Min Tanaka, Tokio Emoto, Arisa Nakano, Tomokazu Miura
Ce deuxième film de l’année pour Wim Wenders (après son documentaire passionnant sur l’artiste Anselm Kiefer) suit la routine d’Hirayama, quinquagénaire employé des toilettes publiques de Tokyo dont le quotidien se retrouve chamboulé suite à l’irruption de sa nièce en fugue.
Souvent résumé comme une ode aux plaisirs simples et un hommages aux petites gens, Perfect Days se révèle à mon sens plus profond que cela. Ce personnage s’est construit une routine lui permettant de fuir son passé et les démons qui y vivent. Avec ses habitudes aliénantes qui l’empêchent de penser, cet homme qui se contente de peu évite de sombrer.
Hirayama se laisse bercer par l’illusion de son propre bonheur, illusion qui s’effrite lorsque son quotidien est perturbé. Et c’est là que le film touche, car il se confronte de nouveau à ses peurs et ses échecs, mais s’ouvre par la même à un avenir possible, peut-être plus heureux que ce présent aseptisé et privé de tout risque.
Un film qui prend son temps et qui rappelle par sa structure et son ton à la fois apaisant et mélancolique le sublime Paterson de Jim Jarmusch.
France – 2023
De Quentin Dupieux
Avec Raphaël Quenard, Blanche Gardin, Pio Marmai, Sébastien Chassagne
Seule sortie de 2023 pour Quentin Dupieux, ce qui est assez rare pour être souligné, Yannick est un long-métrage bien moins anodin qu’il n’y paraît. Malgré un tournage éclair, une communication tardive et une approche formelle moins aventureuse, ce film surprise de Mr. Oizo, dans un registre plus sensible et introspectif, montre autant les inquiétudes d’un cinéaste qu’une clef supplémentaire pour appréhender son oeuvre.
À l’aide de dialogues toujours aussi drôles, incarnés par un Raphaël Quenard en grande forme, le cinéaste affirme sa place d’auteur et nous touche en se donnant à voir.
États-Unis – 2023
De Paul Schrader
Avec Joel Edgerton, Sigourney Weaver, Quintessa Swindell
Ultime opus d’un triptyque démarré en 2017 avec First Reformed et poursuivi avec The Card Counter en 2021, Master Gardener prolonge la thématique de la rédemption dans une oeuvre plus délicate et contemplative que celles qui l’ont précédé.
En mettant de nouveau en scène un personnage hanté par un passé traumatique, qui cherche le salut en apportant son aide à un autre en perdition, Paul Schrader prenait le risque d’une redite un peu vaine. C’était mal connaître le scénariste préféré de Martin Scorsese (pour qui il a écrit, entre autres, Taxi Diver et Raging Bull) qui parvient, par petites touches, à prolonger ce sujet qui semble lui tenir à coeur, à l’enrichir jusqu’à lui donner une vision actuelle, fine et intelligente.
Moins aventureux sur le plan esthétique, le film repose avant tout sur un duo de comédiens talentueux (Joel Edgerton et Quintessa Swindell), qui honorent la subtilité d’un scénario très bien écrit.
Cette lutte entre bien et mal, incarnée par le conflit entre avenir et passé, clôt avec sobriété mais une certaine classe ce segment passionnant de la belle carrière de Schrader.
États-Unis – 2023
De Dean Fleischer-Camp
Avec Jenny Slate, Dean Fleischer-Camp, Isabella Rossellini, Lesley Stahl,
Rosa Salazar, Thomas Mann
Marcel le coquillage (avec ses chaussures) m’a embarqué sans aucun mal dans un monde pensé à sa hauteur. Mignon, touchant, poétique et surtout très beau, ce faux documentaire ravit notre âme d’enfant tout en portant un regard critique sur notre rapport aux réseaux sociaux et à l’altérité. Une nouvelle pépite d’animation à ajouter au grand cru 2023.
États-Unis – 2023
De Kemp Powers, Joaquim Dos Santos, Justin K. Thompson
Avec Shameik Moore, Hailee Steinfeld, Brian Tyree Henry, Lauren Vélez,
Jason Schwartzman, Oscar Isaac
Cinq années après la sortie du rafraîchissant Spider-Man : Into the Spider-Verse, la franchise animée était de retour sur nos écrans en 2023. Héritier d’un film novateur, plus mature et généreux que ses pendant live-action du MCU, ce deuxième opus avait la lourde tâche de proposer un divertissement à la hauteur du précédent. Et on peut décemment considérer la mission comme accomplie !
Dotée d’enjeux passionnants et portée par une direction artistique unique en son genre, cette suite directe aux aventures de Miles Morales dépasse les attentes immenses qui la concernaient. Toujours au service de l’émotion, l’habile mélange des techniques et des esthétiques offre à nos yeux un spectacle si riche qu’un seul visionnage ne suffit pas à en apprécier toutes les subtilités.
Et même si le long-métrage oublie de clore certains arcs narratifs qui en avaient besoin, ce qui nous laisse un peu sur notre faim, il mérite amplement sa place dans ce top annuel tant la créativité qui en émane est rare et donc précieuse. Hâte de découvrir le troisième volet qui devrait sortir en 2024.
Japon – 2023
De Hirokazu Kore-eda
Avec Sakura Andō, Eita Nagayama, Soya Kurokawa, Hinata Hiiragi, Yūko Tanaka
Rattrapé en ce début de nouvelle année, L’Innocence est un film magnifique au scénario “à la Rashomon” (Akira Kurosawa – 1950), mais actualisé aux préoccupations japonaises de 2023. En effet, l’histoire nous raconte les conflits et problèmes rencontrés par deux camarades de classe, un professeur et une mère célibataire, en nous montrant tour à tour le point de vue de chacun sur les mêmes événements.
L’oeuvre fait preuve d’une grande maîtrise à l’écriture, puisque tous les préjugés que l’on développe sont remis en questions dès la bascule vers le parcours d’un autre personnage.
En ressort un grand film sur la complexité du monde et des humains qui y vivent, qui se révèle assez sombre et incite à la nuance, à la prise de recul.
Le titre japonais, Kaibutsu, qui signifie “monstre”, est assez évocateur puisqu’il tente de casser les idées reçues que l’on peut avoir vis-à-vis de ces protagonistes qui semblent tous fautifs, à un moment donné, des malheurs qui surviennent.
Le titre français sous-entend presque l’idée opposée, et respecte moins la profondeur de ce film poignant porté par un casting exceptionnel.
France – 2023
De Jean-Baptiste Durand
Avec Anthony Bajon, Raphaël Quenard, Galatea Bellugi, Dominique Reymond,
Bernard Blancan
Chien de la casse est de ces films dont on n’attend peu, que l’on va voir pour leur pitch attrayant ou leur casting vendeur. Pour ma part, c’était un mélange des deux. Cette histoire d’amitié au coeur d’un village en campagne et la présence du génial Raphaël Quenard m’ont convaincu de me déplacer pour ce premier long-métrage du réalisateur.
Et quelle claque ! Je ne m’attendais certainement pas à ressentir d’aussi fortes émotions devant ce qui est l’une des visions les plus justes et touchantes des préoccupations de la jeunesse rurale.
Les partitions des comédiens qui partagent l’affiche accentue notre identification à ces jeunes paumés, dont la vie est rythmée entre jeux vidéos, cannettes de bières sur la place du village, balades bucoliques et échanges plus ou moins profonds sur leur condition. Avec un dispositif de mise en scène simple sans être simpliste, Jean-Baptiste Durand capte avec élégance les envolées verbeuses de Mirales (Rahaël Quenard), la timidité de Dog (Anthony Bajon) et leur immobilisme provoqué par leur peur latente de s’aventurer en dehors du cadre rassurant de leur village. Un film d’une justesse poignante, aussi bien tragique qu’hilarant.
Russie, France, Suisse – 2023
De Kirill Serebrennikov
Avec Alyona Mikhailova, Odin Lund Biron, Ekaterina Ermishina, Filipp Avdeev,
Varvara Shmykova, Vladimir Mishukov, Andrey Burkovskiy
La Femme de Tchaïkovski est un cauchemar éveillé, où l’immobilisme parvient malgré tout à se mouvoir.
Grâce à une mise en scène dans laquelle des idées visuelles folles se retrouvent en chaque plan, Kirill Serebrennikov dresse le portrait d’une femme invisible, fantomatique, dont l’existence est caractérisée par la force de son amour et de son déni, devenant peu à peu une grande figure tragique au coeur d’un grand film funèbre.
France – 2023
De Tran Anh Hung
Avec Juliette Binoche, Benoît Magimel, Emmanuel Salinger, Patrick d’Assumçao,
Galatéa Bellugi, Jan Hammenecker
Depuis son prix de la mise en scène obtenu au festival de Cannes, dire que j’attendais La Passion de Dodin Bouffant est un euphémisme. Vendue comme l’une des oeuvres filmant le mieux le geste gastronomique, j’étais impatient de découvrir Benoît Magimel et Juliette Binoche nourrir leur passion au sein d’une cuisine du 19ème siècle.
Sans grande surprise, le film m’a ému aux larmes par sa réalisation millimétrée toujours pensée pour générer une forte émotion.
Et dès sa séquence introductive, la caméra se balade du plan de travail au four, montrant avec précision l’élaboration de mets qui font saliver tout en dévoilant subtilement la grande complicité entre Dodin et Eugénie.
De la même manière que Tran Anh Hung s’exprime par la mise en scène, Dodin déclare ses sentiments à la femme qu’il aime par l’intermédiaire de sa cuisine, faisant du film une parabole profonde sur ce que l’art dit de l’artiste. La manière qu’a le cinéaste de filmer le geste créateur est proprement cinématographique, il ne se perd jamais dans de trop longues logorrhées, au profit de regards, de silences évocateurs et de mouvements délicats.
France – 2023
De Cedric Kahn
Avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Nicolas Briançon, Stéphan Guérin-Tillié,
Aurélien Chaussade
Après un énorme travail d’enquête sur le procès en appel de Pierre Goldman en 1976, Cédric Kahn et sa co-scénariste Nathalie Herzberg nous proposent un retour au plus proche de la réalité sur cet événement judiciaire qui a marqué son époque.
Ce soucis de véracité se ressent dans les choix de mise en scène et de montage du cinéaste. En décidant de n’utiliser aucune musique d’accompagnement, il nous oblige à nous concentrer sur le coeur de son sujet : les preuves, ou leur absence. Le choix du format 1.33, qui se focalise sur les visages de l’accusé, du juge, des témoins, avocats, jurés et spectateur, épouse également cette volonté.
Et en utilisant avec une grande maîtrise la profondeur de champ, les flous et zooms, il joue avec ce cadre resserré et donne à l’aspect naturellement théâtral de l’exercice judiciaire une dimension beaucoup plus cinématographique. Il parvient alors à confronter ce système et sa recherche d’une chimérique vérité à l’ambition de cinéma de prendre le pouls du monde.
En ressort une oeuvre au casting irréprochable, en phase avec une actualité qui se répète tristement, entre violences policières, racisme ambiant et criminalisation du militantisme. Ce regard sur notre époque par le prisme d’une autre achève de faire du Procès Goldman un grand film politique.
États-Unis – 2023
De Steven Spielberg
Avec Gabriel LaBelle, Michelle Williams, Paul Dano, Seth Rogen, Keeley Karsten,
Julia Butters, Judd Hirsch
The Fabelmans est un sublime retour en arrière, justifiant tout ce qu’on connait de Steven Spielberg. C’est une oeuvre personnelle, sensible, généreuse et sincère sur la vie d’un homme qui ne s’exprimera jamais aussi bien qu’au travers du septième art.
Plus qu’une simple “lettre d’amour au cinéma”, c’est bien l’autoportrait d’un artiste au crépuscule de sa carrière, mais qui n’a pas perdu sa force et sa malice. Bouleversant.
États-Unis – 2023
De Martin Scorsese
Avec Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Lily Gladstone, Jesse Plemons,
Brendan Fraser, John Lithgow, Tantoo Cardinal
Killers of the Flower Moon est une œuvre extrêmement dense, stimulante autant pour l’histoire qu’elle raconte que pour sa manière de la conter.
Martin Scorsese y aborde pour la première fois le genre américain par excellence, le western, mais en livre une interprétation détournée et dissonante. Tout cela au service d’un geste artistique rédempteur rendant hommage à la communauté Osage, décimée au nom d’un capitalisme dont les origines sanguinaires font échos à des pratiques toujours d’actualité.
Et un film qui raconte bien son histoire par des procédés qui réfléchissent le médium tout en nous faisant méditer sur le monde, c’est un grand film.
France – 2023
De Justine Triet
Avec Sandra Hüller, Milo Machado Graner, Samuel Theis, Camille Rutherford,
Swann Arlaud, Saadia Bentaïeb
Comment ne pas évoquer le film français qui a le plus fait parler de lui cette année ? De sa consécration et celle de sa réalisatrice Justine Triet au festival de Cannes aux prix qu’il a reçus lors des Golden Globes, en passant par son succès publique (près d’1,3 millions d’entrées), Anatomie d’une chute a marqué de sa maestria le cru 2023.
Et pour causes, le quatrième long-métrage de sa cinéaste peut se targuer d’un scénario très bien écrit, d’un casting remarquable (Sandra Hüller, Milo Machada Graner, Swann Arlaud, etc.), et d’une mise en scène discrète mais d’une précision redoutable.
Ce film a laissé une empreinte durable sur ma mémoire, bien aidé par quelques scènes magistrales, comme celle qui l’ouvre ou celle du flash-back lors de l’audience. L’oeuvre embrasse complètement son sujet, ne s’éparpille pas, ce qui lui confère une épure bienvenue puisqu’au service de thématiques complexes et sensibles.
Et bien sûr, le discours que Justine Triet a tenu lors de la cérémonie de clôture cannoise, qui célèbre à la fois l’exception culturelle française tout en pointant du doigt sa mise en danger par l’actuel gouvernement, chose que trop peu d’artistes se permettent, achève d’en faire une cinéaste chère à mon coeur de cinéphile. Vivement la suite !
Royaume-Uni, États-Unis – 2023
De Charlotte Wells
Avec Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall, Sally Messham,
Brooklyn Toulson
Charlotte Wells nous offre un très beau film mélancolique, confrontant la douceur et la simplicité du passé à un regard rétrospectif plus sombre et triste.
Du cadrage au montage, elle nous plonge dans la complexité de la mémoire et ses zones d’ombre à éclaircir. Aftersun est un objet fascinant, emmené par deux comédiens dont le talent donne corps à ce délicat rembobinage.
États-Unis – 2023
De Phil Tippett
Avec Alex Cox, Niketa Roman, Satish Ratakonda, Harper Taylor, Brynn Taylor
Mad God est une expérience rare d’hypnose cinématographique. Cet étrange film construit un univers lugubre, peuplé de créatures inquiétantes plongées dans un mouvement infernal et infini. Une pure vision cauchemardesque qui tourmente durablement notre mémoire. Un chef-d’œuvre inclassable qui n’a cessé de hanter ma mémoire depuis que je l’ai découvert en avril.
Ce n’est peut-être pas le meilleur film de l’année, mais aucune autre oeuvre m’a fait ressentir autant de choses de manière aussi durable en 2023, d’où sa présence en haut de cette liste.